La langue de l'indicible

Photo d'un bateau qui part au loin sous un ciel couleur saumon.
Katja Nemec (Unsplash)

Une langue intime

Écrire de la poésie, c’est avant tout développer un rapport intime à la langue. S’il paraît prétentieux de définir l’art poétique en général, tant sa pratique diffère selon les auteurs, je peux au moins évoquer ma relation personnelle à celui-ci ! Et quoi de mieux qu’illustrer mes propos par un extrait d’une poétesse de génie ? Spoiler alert : il s’agit d’Alejandra Pizarnik.

Ne pas savoir dire les choses

Dans l’imaginaire populaire, le poète est souvent représenté en marginal. Il tient tantôt de la figure quasi divinatoire, à l’instar de Rimbaud, tantôt de l’être damné voire du fou, comme la fantastique Grisélidis Real ou l’autoproclamé vieux dégueulasse. En résumé, aux yeux du profane, le poète se caractérise par son décalage avec le reste de la société.

Loin de leur accorder crédit, je pense que ces clichés nous apprennent tout de même quelque chose : la poésie naît d’abord d’un constat d’échec. On devient poète lorsqu’on se confronte aux limites du langage quotidien et qu’on se demande comment, enfin, se l’approprier. Sans doute y a-t-il déjà un peu de désespoir dans une telle démarche.

Avec des mots de ce monde

Dans son recueil Arbre de Diane (1962), la poétesse argentine Alejandra Pizarnik nous donne à lire les vers suivants : 

Expliquer avec des mots de ce monde

Qu’un bateau m’a quittée en m’emportant

Elle semble ici aspirer à rendre compréhensible par d’autres sa propre expérience sensible, sans cependant devoir en sacrifier la singularité. Tâche ô combien paradoxale. La découverte de ce texte a été pour moi une révélation. Ainsi, un poème ne serait-il pas rien de plus qu’une vaine tentative de décrire l’indicible, avec les maigres ressources de la parole humaine ? 

 

Ce que l'on conçoit bien...

Pour ma part, le recours au poème s’est imposé face à la difficulté d’avoir une expression synthétique. J’adore parler, mais j’ignore quand m’arrêter. Résultat, j’ai tendance à me perdre dans d’interminables diatribes. Alors, à l’opposé de cette logorrhée, mon style se veut concis, épuré. Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, affirmait Boileau.

Chaque élément a une place dans la phrase ou la structure du vers, un rôle à jouer. Je n’hésite en conséquence pas à élaguer, corriger continuellement jusqu’à trouver le mot juste. Depuis maintenant une dizaine d’années, je n’ai de cesse de tailler ma plume afin d’y parvenir. Je n’y suis toujours pas, mais je crois que l’important demeure le voyage et non la destination.

L'art du fiasco

Entendre sa voix intérieure demande du temps, apprendre à la traduire « avec des mots de ce monde » encore davantage. Deux excellentes raisons pour oser expérimenter sans craindre de se rater. La poésie est un fiasco permanent, d’où émergent parfois d’heureux hasards ! 

D’ailleurs avant de vous quitter, si vous ne connaissez pas Alejandra Pizarnik, je vous recommande cet excellent podcast de France Culture. On y lit des poèmes choisis et des bouts de son journal. Son œuvre complète est quant à elle disponible chez Ypsilon éditeurs

Prêcher la bonne poésie

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