Vous avez dit instapoésie ?

Une photo d'un polaroïd tenu par une main.
Jakob Owens (Unsplash)

C'est quoi l'instapoésie ? 

On désigne sous le terme d’instapoésie la poésie publiée sur Instagram. Si cette dénomination peut sembler anodine, elle laisse pourtant présager une profonde mutation du genre. Bref, un prétexte idéal pour aborder l’écriture créative à l’ère des réseaux sociaux ! 

Un peu d'histoire

Les auteurs se sont en vérité rapidement saisis des technologies informatiques. La journaliste Brigitte Perucca mentionne par exemple l’existence d’une littérature numérique dès les années 60, qu’elle considère en phase d’essai jusqu’au milieu des années 90. Elle rappelle en outre l’apparition des blogs durant les années 2000. Elle indique d’ailleurs qu’ils représentaient à l’époque : 

Le versant populaire de la littérature numérique, celui qui permet l’accès du plus grand nombre à l’écriture, à travers des formes plus conventionnelles (…).

Instagram s’inscrit par conséquent dans une histoire déjà bien fournie et apporte aux poètes deux éléments majeurs : un puissant algorithme qui repose sur l’interconnexion de ses membres et surtout, des formats spécifiques.

En prendre plein les yeux

La plateforme privilégie en effet les contenus visuels. Comment alors adapter le poème à une double contrainte de notoriété et d’esthétisme ? D’abord, d’anciennes pratiques artistiques s’y réactualisent. Collage et caviardage en tête. A ce titre, les comptes @caviar_et_carpaccio ou encore @haiku_mariniere (Dimitri Rataud) méritent le détour. 

Dans le cas du premier, des assemblages pop se marient à des écrits minimalistes, rédigés à partir de mots isolés depuis d’autres œuvres. Le reste des extraits employés figure systématiquement en arrière-plan. Chez le second, des paragraphes entiers se retrouvent raturés en noir, afin de dévoiler « la poésie cachée dans les pages ordinaires ».

Des outils de création aisément utilisables par le grand public, à l’instar de Canva, CapCut, Illustrator ou Photoshop, facilitent également la mise en scène des textes. L’utilisateur dispose désormais d’une liberté inédite dans la conception de ses posts. On ne compte ainsi plus les déclinaisons de calligrammes et objets poético-graphiques en tous genres.

Le compte @drama_elle en est une jolie illustration. Ses vers s’intègrent régulièrement à des dessins colorés, épurés et dynamiques. Inventives, les  réalisations de la plupart des instapoètes n’en obéissent cependant pas moins à un impératif d’accessibilité

Un acte d'écriture commun

L’instapoésie requiert rarement une connaissance préalable du champ poétique. Chacun peut non seulement en lire mais aussi en composer. Les conseils et encouragements s’échangent volontiers dans les commentaires, tandis que les productions se partagent et que des correspondances se nouent.

Le poème devient le fruit d’un acte d’écriture commun.  Cet aspect collectif explique notamment le succès d’initiatives telles que « la » Poétesse Gang, issue de la rencontre d’une vingtaine de poétesses contemporaines aux thématiques souvent féministes.

Enseignante à l’Université de Rouen, Gaëlle Théval pointe néanmoins une limite à cette démocratisation. Elle précise :

(…) une grande partie des textes publiés sur ces plateformes présente des formes classiques : poèmes d’expression lyrique ou aphoristique, versifiés et rimés.

Revers de l’algorithme, la mise en avant des posts dépend de leur capacité à générer de l’engagement. Or, ce système favorise des sujets universels, davantage ancrés dans une vision stéréotypée de la poésie. Parfois au détriment de l’expérimentation ? 

Un canal de diffusion inégalé

L’instapoésie offre à tous une chance de sortir son épingle du jeu. Certes, elle est tributaire d’un modèle économique basé sur la publicité et donc sur la popularité, vecteur d’uniformisation. Pour autant, Instagram demeure un canal de diffusion à la portée inégalée. A travers son carré iconique inspiré des clichés instantanés et son interactivité, le réseau rafraîchit un art longtemps relégué aux salles de classe. Mieux, il stimule la collaboration. Et interroge au passage le rôle du poète dans l’espace médiatique ! 

Sources

Brigitte Peruca,  » Les Nouvelles écritures numériques « , CNRS le journal, 2022, consultable sur leur site.

Gaëlle Théval,  » La Poésie est à la mode :  (insta)poésies en performance « , acte du colloque La Poésie contemporaine, les médias et la culture de masse, 2021, consultable sur Fabula.

Olivier Belin,  » Vers une poésie commune ?  Les poètes amateurs de Twitter, Instagram et Wattpad « , Nouvelle revue esthétique, 2020/1 (n°25), consultable sur Cairn.

Prêcher la bonne poésie

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